Je me suis intéressé à la seconde partie de l'émission, alors qu'Elisabeth Guigou et Eric Woerth étaient sur le plateau.
Thierry Ardisson (TA) nous présente Eric Woerth (EW) : ministre du budget des comptes publics et de la fonction publique accusant un déficit public en 2009 de 138 milliards d'euros. En 2008,
c'était 66 milliards, moitié moins.
« La crise est passée par là », se défend EW.
TA : « D'après la cour des compte, 12 milliards sont dûs à la mauvaise gestion de l'Etat. »
EW : « C'est un problème de méthode de calcul. La cour des comptes dit que 90% du déficit est dû à la crise. Moi, je dis que c'est 100%. C'est pas à cause d'une augmentation des dépenses.
Bon, il y a des dépenses de relance, on est bien obligé de relancer, mais en même temps il y a une chute incroyable des recettes, on a perdu 60% des recettes avec les impôts sur les sociétés par
exemple. »
Et il ajoute : « Le président a été remarquable dans la gestion de cette crise. Il fallait sauver le système bancaire, et il l'a fait. Donc les banquiers ils doivent être contents. Ils
peuvent prêter aux entreprises, aux PME... »
« Ils sont contents, sauf qu'ils prêtent pas », rétorque TA.
TA : « La dette de l'Etat est de 1500 milliards d'euros. »
EW : « Il faut savoir que dans les autres Etats, c'est souvent des dettes plus importantes. Les japonais sont plus endettés que nous, les américains aussi... Aujourd'hui les allemands ont un
niveau d'endettement très légèrement inférieur à nous. Les Etats sont aujourd'hui, endettés. C'est la réalité des choses. »
Elisabeth Guigou : « Les dettes vous les avez quand mêmes creusées en accordant des allègements fiscaux à des gens qui en avaient pas vraiment besoin. Ça c'est un manque à gagner pour les
recettes de l'Etat. Et vous parlez de la dette en disant que ça fait 30 ans que ça a toujours existé. Moi j'ai appartenu à un gouvernement [Jospin] où on avait réussi à baisser la dette par
rapport au produit intérieur brut. Depuis que vous êtes là, 2002, ça n'a cessé d'augmenter. Alors, la crise d'accord, mais vous êtes largement responsables et du déficit qui a augmenté et de la
dette qui a augmenté. »
Après ça, vint l'édito de Blako. On en retient :
les retraites coûtent 10 milliards supplémentaires par an alors que
-
les exonérations de charges accordées chaque année à des entreprises s'élèvent à 20 milliards
-
les entreprises du cac40 en 2009 on fait une économie de 8 milliards grâce aux paradis fiscaux (donc impôts non payés)
-
le total de la fraude fiscale est estimé à 50 milliards
-
niches fiscales : 140 milliards de manque à gagner (d'après la cour des comptes)
pour les retraites, l'Etat nous propose
-
augmenter l'âge du départ
-
diminuer le montant des retraites
-
augmenter les cotisations
TA : « Pourquoi ne pas prendre l'argent où il est : chez les riches? »
EW : « Cela veut rien dire. C'est une vision démagogique des choses. »
TA : « Pas du tout. Pour sauver les banques on trouve de l'argent... »
EW : « Les banques doivent rembourser, alors qu'aux retraités on ne leur demandera pas de rembourser »
Puis d'ajouter : « Le jour où on aura tué les entreprises en France, il y aura plus de travail, plus d'argent, plus de ressources, plus de richesse. C'est aussi simple que ça. »
C'est alors que vint le moment le plus marquant de l'émission : l'invité de 20H.
TA : « Le ministre de l'agriculture, Bruno Lemaire avait annoncé une chute du revenu des paysans de 34% en 2009. Pierre Priolet, agriculteur, entends ça à la radio et, outré, les
appelle. »
« Pierre se lance dans la production de pommes et de poires à Mollèges en Provence, début des années 90, quand la grande distribution ne veut plus acheter aux grossistes mais s'adresse
directement aux producteurs. Il achète 13 ha de terrain. Attend 10 ans pour commencer à récolter. Investit 600 milles euros. La commercialisation commence en 2000. Et de 2000 à 2010, il n'est
bénéficiaire que pendant 2 ans. 2009 est particulièrement catastrophique avec des pertes s'élevant à 120 milles euros. Vend un bâtiment d'exploitation pour payer les dettes.
Son exploitation : 12 centimes le kg des poires qui lui coûtent 40 centimes. Ces poires sont vendues 2,80 à 3 euros dans les grandes surfaces. »
Pierre : « J'ai l'impression de vivre dans une autre planète. On se jette des arguments. On fait croire qu'il y a 2 camps. Mais y a pas de camp. Il y a 2 camps qui veulent accéder au
pouvoir. Mais y a nous. 50% de la population ne vote pas. Tous ces gens qui sont sans voix et qu'on cherche même pas à attirer. »
TA : « Les prix sont faibles, mais en plus, il ne les connait pas quand il vend. Il vend à des centrales d'achat qui revendent à la grande distribution. Mais les centrales (peu nombreuses)
ne définissent pas de prix, car celui-ci dépend du prix de vente aux grandes distributions...
A la retraite, il gagnera 697,13 euros/mois. »
Pierre : « C'est la double peine. On travaille 46 ans, de 8 à 14 heures par jour. Les ¾ sans Week-End et très peu de congé. A la fin, on leur donne une retraite de misère. Un mépris absolu.
Le paysan est un exploité agricole. »
« Notre société ne pense qu'au profit immédiat. On est prêt à gagner n'importe quoi sur n'importe qui, pourvu que ce soit rapide. L'agriculteur quand il plante, quand il investit dans les
animaux, quand il arrive à concevoir son exploitation, il fait un acte de création. On a face à nous une société de jouisseurs où tout est permis. Et quand on achète des produits en Chine, où on
sait très bien que l'enfant gagne 5c de l'heure, on s'en fout ; c'est moins cher. »
« Le vrai débat, c'est un débat de fond. L'agriculteur a envie de mettre l'homme au cœur de la vie, au cœur de la société. Et si on est attaché à notre métier c'est qu'il y a des racines. On
est en prise directe avec la vie. »
« Les politiques ne peuvent pas aider. Pas comme ça. J'ai entendu le débat de tout à l'heure. J'avais envie de me tirer une balle dans la tête... en fait, ils parlent d'eux. Ils parlent pas
de nous. Il y a des milliers de travailleurs, des milliers de chômeurs en fin de droit, sans aucune reconnaissance. »
« On est dans une crise qu'on nous cache. A force de mentir à tout le monde, on croit à ces mensonges. C'est ça qui m'inquiète. La chance de l'agriculteur, c'est qu'il est seul dans son
champ. Il réfléchit. Y a pas de brouillage à sa réflexion. Et quand on réfléchit, qu'on observe qu'on arrive à créer de l'argent avec du vide – j'observe un bénéfice de 50 milliards de la BNP
cette année –, j'ai vraiment le sentiment de vivre au pays des faux-monnayeurs. Parce que l'argent, c'est le travail. Le travail c'est l'outil. On oublie ces vérités premières. Et quand on fera
les vrais comptes, quand on s'apercevra que le pays est à l'arrêt, et que tous ces milliards annoncés sont du vent, on verra à quel point c'était important d'être les pieds dans les racines.
On souffre. On sait qu'on souffre. On sait qu'on est pas les seuls à souffrir. Y a énormément de gens qui travaillent dur. Ils sont méprisés, pas considérés. Un déni d'existence. Et c'est ce déni
d'existence qu'il faut dénoncer. C'est pas de tirer une balle dans la tête de quelqu'un. De toute façon, si ça continue comme ça, l'occasion à tout sera donnée. »
« Aujourd'hui, il faut qu'on change la donne. Il faut qu'on accède enfin au consommateur. On a tous une petite partie de terrain qui est convoitée par quelqu'un qui veut y mettre sa maison
et nous ne pouvons pas le faire. On mettrait 1000 m2 par exploitant agricole. 330 milles exploitants agricoles. 40% de cette somme serait donnée à la trésorerie de l'agriculture pour lui
permettre de respirer. Et 60% iraient à un fond où les actionnaires seraient les agriculteurs. Ce fond permettrait d'acheter des magasins simplement pour vendre directement au consommateur à prix
coûtant. Ça permettrait d'employer des vieux et des jeunes, de leurs donner une chance, avec des CDI... nous, on pourrait enfin communiquer directement avec le consommateur sur nos produits et
sur leur vrai coût. »
« Ce projet, il est fou. Mais je pense que si on n'a pas de folie dans la vie, il vaut mieux disparaître. »
Thomas Legrand: « Pierre nous décrit un système d'une simplicité naturelle, et il finit sa démonstration en nous disant que c'est fou. On en arrive à penser que les choses simples et
naturelles, c'est de la folie, alors que les fruits qui font des millions de kilomètres qui font le tour du monde et qui sont pas bons, ce serait naturel. »
Pierre: « on a spécialisé la France dans l'intelligence. L'intelligence, c'est 150 euros de l'heure. Comment ils payent nos Airbus, nos avions de guerre, nos missiles dont on est si fier ?
Avec des fruits qui sont payés avec 1euro de l'heure à ceux qui travaillent. »
Que d'émotion ! Et que de frustration !
Cet homme n'est pas un cas isolé. Si on comprend sa douleur, c'est parce qu'on ressent à quel point le système dans lequel nous vivons est injuste. Et comme l'a
très justement relevé Thomas Legrand, toute proposition sensée améliorer la situation, même remplie de bon sens, est considérée comme de la folie, car on sait qu'on n'a pas la moindre chance. On
est comme un pot de terre face à un pot de fer.
Ceux qui veulent changer ne peuvent pas et ceux qui peuvent ne veulent pas. Ne vit-on pas dans un monde bizarre ? Combien de temps doit-on continuer à se laisser
faire ainsi ? Je vous le demande.