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1 juillet 2009 3 01 /07 /juillet /2009 18:36
 

Explication par l’exemple

LE MARCHÉ

Je suis confiseur. Je suis le seul dans les parages à fabriquer des bonbons. Et je vois régulièrement des enfants rôder autour de ma confiserie.

Un jour, il me vient une idée : ce serait rusé si je demandais à une dizaine d’entre eux de m’aider, car il y a toujours quelque chose à faire dans le magasin, et je n’ai pas envie de passer mon temps aux corvées. Il me suffirait de leur promettre, mettons, dix bonbons par jour, et ils travailleraient pour moi.

Voulant mettre mon idée à exécution, il m’est assez rapidement apparu que celle-ci n’était pas complètement au point : car, les premiers volontaires ne travaillaient que mollement, et ils me réclamaient énergiquement en fin de journée les bonbons promis. Alors, comme je ne suis pas homme à hausser le ton – cela les effaroucherait, et ils s’en iraient en me laissant avec mes corvées, ou pire : ils pourraient, avant de partir, me dérober mes biens –, j’ai pensé qu’il fallait les attirer d’une autre manière.

L’APPÂT

Alors voilà : j’ai pris dix d’entre eux et je leur ai dit : « vous êtes les 10 meilleurs de toute la bande ! (que cela soit vrai ou non n’a aucune importance ; l’essentiel, c’est qu’ils en soient persuadés). Aussi, vais-je vous faire une proposition digne de vous ; je ne voudrais travailler qu’avec vous… et blablabla et blablabla… Je vais vous avancer 100 bonbons chacun, et vous me les rembourserez dans 10 jours, en les gagnant à venir travailler pour moi. Le travail, si vous le faites bien, vous rapportera 10 bonbons par jour, et même jusqu’à 15, pour le meilleur d’entre vous. Je mettrai autant de croix dans un livre de comptes que vous l’aurez mérité, et ainsi, petit à petit, vous me rembourserez.

»Par contre, le moins bon d’entre vous n’aura ce jour-là que 5 croix, c’est-à-dire, moins que la moyenne : c’est donnant-donnant.

L’INTÉRÊT

»Au bout de 10 jours, vous m’aurez ainsi remboursé les 100 bonbons, plus 10, qui correspondront au risque que je prends en vous faisant cette avance. Mais, si vous travaillez bien, ce sera pour vous un jeu d’enfant. »

LE CIBLAGE DU MARCHÉ

Il se trouve qu’ils n’avaient pas tous accepté ma proposition d’emblée ; ils étaient plutôt méfiants, ou moi, pas assez persuasif (c’est un don qu’il faut avoir pour faire ce métier). Alors, j’ai dû chercher, parmi d’autres enfants, ceux qui seraient d’accord pour faire ce que je leur demandais. Mais, au bout du compte, j’avais mes 10 petits travailleurs, prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes pour mériter les bonbons que je leur avais prêtés.

LA MASSE MONÉTAIRE

Au bout de 10 jours, comme prévu, ils devaient me rembourser 110 bonbons chacun. Mais, comme je l’ai tout de suite su, et comme eux ne l’avaient pas vu, car ce ne sont que des enfants qui n’ont pas regardé plus loin que le bout de leur nez, il y avait un gros problème : tous ne pouvaient pas me rembourser.

J’avais créé un gros déséquilibre : en tout et pour tout, j’avais offert 100 bonbons à 10 enfants, c’est-à-dire, que j’ai mis sur le marché 1000 bonbons. Et, au bout de 10 jours, j’en réclamais 1100 ! Or, comme ils ne pouvaient pas inventer les 100 bonbons supplémentaires que j’exigeais, il devait se passer quelque chose.

Vous me direz, ce sont des croix, et non des bonbons qu’ils me devaient. Et, en toute logique, s’ils travaillaient plus que « correctement », ils devaient avoir plus de 10 croix par jour. Cependant, c’est moi qui distribue les croix. Et, je n’avais aucune envie d’en distribuer plus que le nombre de bonbons que j’avais émis.

Mais, ce qui se passa alla au delà de mes attentes : tous les enfants avaient mangé leurs bonbons, et, en même temps, un certain nombre d’entre eux avait moins bien travaillé que leurs autres petits camarades, se retrouvant ainsi, en fin de journée, avec un nombre insuffisant de croix marquées dans le livre de comptes et avec l’impossibilité de rendre les bonbons.

LA DETTE

En tout, je n’avais qu’environ 700 croix au lieu des 1100 hypothétiques que j’attendais. Il en manquait donc près de 400.

LA MONNAIE FIDUCIAIRE

Comme je ne voulais pas les décourager dès la première expérience, car, dans l’ensemble, ils m’avaient bien aidé dans le magasin, je leur proposai d’effacer leurs dettes, et même de les aider à mieux gérer leurs biens. Pour ce-faire, j’ai introduit un nouveau concept : des boutons en remplacement des bonbons. Je leur ai dit : « Pour chaque bonbon que vous aurez gagné, au lieu de le prendre, et d’être tentés de le manger, c’est moi qui vous le garderai, et vous, vous aurez un bouton à la place. Bien sûr, ce bouton pourra, à tout moment m’être rendu, et aussitôt, je vous donnerai le bonbon qu’il représente et qui vous appartient. Il faudra simplement veiller à me rembourser en temps et heure, car la prochaine fois, je ne vous ferai pas autant de largesses. »

LA BANQUE

Aussitôt mes enfants pourvus de leurs 100 bonbons, ils se rendirent docilement à ma chambre de dépôt, où j’entreposai leur trésor. Ils reçurent des boutons à la place des bonbons, et ils gardaient ces boutons précieusement dans leurs poches tout en allant travailler pour moi, avec l’espoir d’obtenir un maximum de croix dans le livre des comptes.


LE COÉFFICIENT MULTIPLICATEUR

Quant à moi, me retrouvant avec les 1000 bonbons dans la chambre de dépôt, je me dis que je pourrais utiliser ce butin pour attirer d’autres enfants à faire d’autres travaux pour moi, sans que les premiers n’en sachent rien. Si j’arrive à convaincre les nouveaux petits travailleurs à faire la même chose que les premiers, ils auront déposé, en leur nom, les mêmes bonbons, et chacun qui voudrait vérifier que ses bonbons sont bien là, les verrait, et repartirait travailler, rassuré.

Et, si ça marche pour une deuxième série de 10 enfants, cela pourrait également marcher pour une troisième, puis pour une quatrième et une cinquième…

L’ENTREPRISE

Bientôt, je me retrouvai avec une centaine de petits travailleurs, qui m’avaient bâti un palace avec un magnifique jardin, et qui me l’entretenaient comme un petit paradis, afin qu’il soit perpétuellement agréable à voir et à y vivre. Et, chacun se trouva honoré de venir travailler pour moi. Ils m’aimaient bien ; j’étais un bon patron.

L’EMPRUNT

Leur premier souci était que je me porte bien, et que je sois bien disposé à leur égard, pour qu’ils puissent garder leur travail. Leur second souci majeur était de gagner plus de boutons pour pouvoir m’en rendre encore plus que je leur en avais donné, puisqu’ils me devaient aussi les intérêts – selon le principe : travailler plus pour gagner plus… Et comme cela était impossible (même si certains petits malins avaient essayé de fabriquer des boutons eux-mêmes – je les avais appelés des ‘faux-boutonneurs’), ils étaient obligés de m’en emprunter encore.

Chaque emprunt se faisant avec intérêt, c’est-à-dire, avec obligation de rembourser un peu plus que ce qu’ils ont reçu, ils se sont retrouvés très vite à emprunter pour rembourser les intérêts.

Plus ils travaillaient, plus leur dette s’alourdissait. Et s’ils ne faisaient rien, c’était tout aussi catastrophique, sinon pire.

LA MONNAIE SCRIPTURALE

Ils étaient prisonniers de mon stratagème.

Mais ils continuaient de me vénérer. J’étais leur maître. Ils en avaient même oublié qu’à l’origine, ils travaillaient pour des bonbons. Les bonbons, ils n’en voyaient même plus la couleur. Seuls comptaient les boutons.

Bientôt, j’introduisis un nouveau concept pour améliorer encore mon système : la carte boutonnière. Quel avantage ! Ils n’étaient plus obligés de se promener avec des tas de boutons dans leurs poches. Il leur suffisait de présenter leur carte, de la passer dans un lecteur de code secret qui y était inscrit, et, automatiquement, les boutons se trouvaient débités de leur compte pour être crédités sur celui d’un autre.

Par ce biais, les boutons n’étaient même plus nécessaires. Tout était dans l’ordinateur. Virtuel.

C’était magnifique. Pour moi, c’était un avantage supplémentaire.

INFLATION/DEFLATION

Mais attention ! Tout n’était pas si rose.

Je me suis rendu compte que trop de dette conduit à un déséquilibre appelé ‘déflation’ : il n’y a pas assez de boutons, et les enfants s’en rendent compte, alors, non seulement, ils ont du mal à déposer ceux qu’ils avaient gagné, mais, en plus, ils cherchent sans cesse à venir dans ma chambre de dépôt pour prendre le moindre bouton qui pourrait s’y trouver (et qui, en toute logique, leur appartenait).

Pour que le système continue de fonctionner, sans que je fasse banqueroute, pour les rassurer, il a fallu que je fabrique de nouveaux boutons.

Mais là, il peut y avoir un autre danger : si j’en fabrique trop, cela s’appelle ‘inflation’. Et dans ce cas, ils ont l’impression d’avoir plus de pouvoir d’achat, et ils veulent avoir plus que ce qu’ils peuvent payer. La menace du remboursement ne leur fait plus peur, et ils raflent tout bonnement tout ce qui a été fabriqué, sans qu’il s’en trouve suffisamment d’entre eux pour participer à la fabrication.

Donc, il a fallu que je fasse bien attention de n’avoir ni une trop forte inflation ni une trop forte déflation, pour que je puisse continuer de vivre comme un pacha. C’est tout l’art de mon nouveau métier d’exploitant – ou, devrais-je dire, de gestionnaire d’une société épanouie (il ne faut pas avoir peur d’utiliser ce genre de mots dans ma situation ; puisque j’ai créé une société où je suis épanoui).

LA MARCHÉ DU TRAVAIL

Parfois, il se trouvait des petits agitateurs qui venaient se plaindre et me traiter de capitaliste, de nanti, de profiteur et je ne sais trop quoi encore ; alors, quand je ne pouvais pas tout bonnement les faire taire, je faisais venir d’autres enfants, d’ailleurs.

Ceux-là, ils étaient pratiques. Chez eux, ils n’avaient jamais vu autant de bonbons d’un coup. Alors, ils étaient émerveillés et avides, et, par conséquent, prêts à tout pour avoir ce que je faisais miroiter sous leurs yeux.

Ils ne comprenaient pas ce que je leur racontais, alors ils trouvaient ça normal que je leur demande de faire les pires corvées. Et, ils étaient contents d’avoir 3 boutons en fin de journée, là où les autres s’estimaient lésés de n’en avoir que 10, car ils en espéraient 12 voire 15. Ils me réclamaient même un nombre minimum de boutons par jour, estimant que pour vivre dignement, il leur fallait tant !

Les enfants étrangers, eux, ne disaient rien et travaillaient. Ils étaient une aubaine pour moi.

C’était merveilleux.

LE CHÔMAGE

D’autant plus que, quand les autochtones râlaient parce qu’ils se retrouvaient sans emploi, je leur disais que c’était la fautes des étrangers. Et alors, ils dirigeaient leur colère contre eux, les accusant de venir manger leurs bonbons…

LES ÉMEUTES

Je les tenais. Tous. Et je ne les lâchais plus.

Certains voulaient faire une rébellion, une révolution, proposer une nouvelle société, plus juste, plus équitable… Mais, je leur dis qu’aucun système n’était parfait. Et que le mien était le moins mauvais. Et que, d’ailleurs, ils feraient mieux d’aller travailler s’ils ne voulaient pas se retrouver sur la paille, au lieu de passer leur temps à rouspéter inutilement.

Puis j’ajoutais que le bouton ne fait pas le bonheur. Et, il se trouvait toujours un certain nombre d’entre eux pour m’approuver. Et cela était suffisant pour que je continue de vivre comme un pacha dans le meilleur des mondes (pour moi).

 

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