Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 octobre 2023 6 21 /10 /octobre /2023 12:43

Introduction

Si on s’accorde toutes et tous ici sur un point, c’est bien sur notre fibre anti-autoritariste. Nous refusons d’être des citoyen-ne-s de seconde zone et c’est le fondement de notre lutte. Cependant, nous sommes très loin de représenter la pensée main-stream. C’est que, nos concitoyen-ne-s (autant que nous-mêmes, par moments) sont pris-es dans la nasse de ce que j’appellerais la pensée aristocratique. Et ce sera le premier point que je discute dans cet article. Il sera question de savoir en quoi consiste cette pensée aristocratique, comment on en est arrivé à l’accepter et, finalement, entrevoir comment on en sort.

Dans un deuxième temps, on s’intéressera de près au rôle que nous jouons dans ce monde basé sur les échanges économiques capitalistes afin de pouvoir pointer du doigt les règles du jeu qui nous conduisent inéluctablement aux dérives et exactions dont on est témoin chaque jour.

En troisième lieu, démontant ces règles capitalistes, nous analyserons les différentes pistes qui se donnent pour tâche de les remplacer. Et nous en proposerons une nouvelle qui serait une synthèse de ce qu’on aura vu, tout en restant compatible avec le credo anarchiste.

On pourrait y voir une sorte de néo-anarchisme qui s’inscrirait dans une forme de socialisme libertaire proposant une gestion nouvelle de la société.

En tout cas, cherchant assurément à rester optimiste, je la nomme holocratie. Car en effet, l’étymologie du mot anarchie nous conduit à supprimer le pouvoir alors que l’holocratie se propose de le garder et de le partager entre nous toutes et tous.

 

I. Pensée aristocratique

 

Habitus

 

Nous avons toutes et tous grandi dans un certain environnement qui nous a, en quelque sorte, façonné. Nous avons donc acquis ce que nous croyons être nos connaissances et nous avons élaboré un certain nombre de comportements et d’attitudes que nous estimons justes et en accord avec nos pensées et sentiments. Chacun-e les siennes, mais propres au milieu dans lequel on évolue. C’est tout cela que Pierre Bourdieu nomme habitus : nos connaissances autant que nos comportements, nos aversions ainsi que nos préférences et notre propension à vouloir les défendre.

Personnellement, je vois l’habitus comme un carcan qui nous emprisonne dans notre mode de pensées et d’être, qui nous rend conservateur-e et intolérant-e vis-à-vis de celles et ceux qui sont différent-e-s de ce qu’on estime être la norme. L’habitus nous pousse à rejeter l’étranger ainsi que tout ce qui ne s’accorde pas aux normes dans lesquelles nous avons pris racine et qui nous guident.

Il est important de constater cela. Tout comme il est important de savoir que nous devons faire preuve d’une souplesse d’esprit plus ou moins grande pour sortir de cet habitus et, ainsi, nous émanciper.

 

Humanisme de la renaissance

 

Au XIVe siècle, en Italie, a eu lieu un vaste mouvement de protestation de la part d’une certaine intelligentsia qui ne voulait plus cautionner les dérives du féodalisme moyenâgeux pour qui l’homme était naturellement mauvais et qu’il fallait punir pour le maintenir sur le droit chemin. Ne nous a-t-on pas appris cela à l’école ?

Ces protestations ont donné lieu à ce qu’ils ont appelé : humanisme. Et leur nouveau mot d’ordre – s’appuyant sur les philosophes de la Grèce Antique qu’ils ont redécouverts pour l’occasion à travers Cicéron et d’autres – était qu’en fait : l’homme est naturellement bon mais, s’il fait le mal, c’est parce qu’il ne sait pas.

La déduction logique de tout cela, c’est qu’il fallait nous éduquer. De ce mouvement sont donc nées dans toute l’Europe des écoles et des académies où Science, Culture et Art étaient enseignées au plus grand nombre, avec le plus grand engouement et l’espérance de voir notre société s’améliorer.

Cela partait d’un bon sentiment si ce n’est qu’on n’est pas pour autant sorti du carcan de la pensée aristocratique. Car en effet, l’individu du Moyen-Age étant par définition mauvais, cela justifiait qu’une autorité coercitive s’exerçât sur lui, mais cette même autorité agit également sur l’individu d’après la renaissance, d’une autre manière (plus douce) certes, mais tout aussi persistante et imposante puisque : Les humanistes de la Renaissance souhaitaient éduquer l’homme pour le grandir et bâtir une société meilleure, plus morale, fondée sur le respect de l’être humain.

Le piège de la pensée aristocratique est dans cette dernière phrase car, si on la lit entre les lignes, cela signifie que si la société n’est pas assez bonne, c’est à cause de toi, individu inculte ou insuffisamment éduqué ; ce qui justifie une aristocratie faite pour jouer ce rôle d’éducatrice.

 

Humanisme nouveau

 

Le piège vient des philosophes grecs eux-mêmes. En voulant définir l’humain – pour quoi faire au demeurant ? –, ils ont énuméré les qualités et vertus que celui-ci devait avoir. Ce-faisant, ils ont, en réalité, créé un idéal d’être humain, donc quelque chose d’inatteignable. Ayant défini cet idéal, ils ont implicitement aussi créé son opposé, obtenant ainsi les 2 extrémités entre lesquelles nous évoluons. On a donc créé l’idée de meilleur et de moins bon humain. Et la hiérarchie est née.

Dès lors qu’on use, socialement parlant, de critères discriminatoires, on développe des arguments justifiant une hiérarchie. Or, c’est un non-sens de parler de meilleur ou de moins bon humain, car quand on est humain, on est humain et c’est tout. Tu peux être meilleur que moi dans un domaine donné, tu peux être plus fort-e, plus riche, plus intelligent-e, plus érudit-e… mais tu ne seras jamais ni plus ni moins humain-e que moi.

On me rétorquera qu’il existe des gens qui sont capables de tuer, violer, torturer de la pire des manières, sans aucun état d’âme, sans le moindre repentir… et qu’on ne voudra pas qualifier d’humain au même titre que les autres. Pour moi, ces humains-là sont des déviants qui ont été plus ou moins fortement désensibilisés, atteignant parfois des points de non-retour et dont il faut, évidemment, se protéger. Mais cela ne devrait pas servir de prétexte à hiérarchiser.

L’humanisme que je propose serait une idéologie qui n’admet pas l’idée qu’on puisse, d’une manière ou d’une autre, hiérarchiser les êtres humains. Parler de tel ou telle qui serait meilleur ou pire qu’un-e autre, on pourrait le faire au bistro ou dans un salon de thé, mais ce serait inacceptable dans l’hémicycle.

 

II. Production – Echange

Parlons, à présent de notre façon de produire et d’échanger.

Or, celui qui s’est imposé de manière unanime partout dans le monde est le modèle capitaliste, même dans les pays qui se disent socialistes ou communistes.

 

Modèle capitaliste

 

Si on simplifie à l’extrême, on peut définir les 3 acteurs suivants (sachant que ce sont les flèches qui relient ces acteurs les plus importantes dans ce que je veux mettre à nu et qui posent problème) :

- P : c’est le chef d’entreprise, le patron, le possédant…

- S : le salarié

- C : le consommateur

Cela donne la représentation suivante :

 

        P

    ^      \

   /          v

C    <--   S

 

P est à la fois le donneur d’ordre de S et celui qui le rémunère. Ainsi, S est totalement soumis à P. C’est ce qui me fait dire que P→S est la flèche de l’asservissement.

En second lieu, S ayant obtenu son salaire, et ne pouvant faire autrement que d’acheter ce dont il a besoin pour vivre dans la société à laquelle il est de facto assujéti, devient consommateur. Ainsi, S→C sera appelée flèche du consumérisme.

Enfin, C→P, suite logique de cette construction, où l’argent de la consommation revient au possédant profiteur, est identifiée comme étant la fameuse flèche de l’exploitation dont nous parle Karl Marx.

 

Alternatives anti-consuméristes

 

Celles et ceux qui se sont attaché-e-s à trouver des alternatives à ce système complètement injuste, dérégulant, déséquilibrant, polluant, exterminant, etc., proposent, pour l’essentiel, de s’attaquer à la flèche S→C. En effet, on parle d’AMAP1, de Kibboutz, d’autogestion, de SEL2, … qui sont toutes des tentatives très louables pour échapper au cercle vicieux P→S→C→P, et, somme toute, très naturelles et donc les plus courantes (il n’est donc pas nécessaire de s’étendre dessus). Mais je prétends qu’il en existe d’autres qui valent la peine d’être mis en avant.

 

Alternatives anti-asservissement

 

En effet, quand on avance l’idée, devenue populaire ces derniers temps, d’une rémunération universelle inconditionnelle pour les un-e-s ou de salaire à vie pour les autres, on innove dans les propositions d’alternative, en quelque sorte, en s’attaquant à la flèche P→S. De fait, cette idée-là vise à atténuer fortement l’ascendant que le Patron (P) peut avoir sur son employé-e (S) et donc, cela diminue la notion d’asservissement qui y est liée.

En France, c’est Bernard Friot3 qui supporte ce modèle avec force, en faisant ainsi son cheval de bataille. Par ailleurs, une petite communauté s’est formée autour de cette idée pour la concrétiser en créant ce qu’ils appellent la monnaie libre avec une crypto-monnaie dont l’unité est la JUNE4.

Une crypto-monnaie a ceci d’intéressant qu’elle n’a pas besoin de banque pour fonctionner. La viabilité des transactions est garantie grâce à la technologie dite de block-chains sur laquelle elles s’appuient.

Il est vrai cependant que les crypto-monnaies ont mauvaise réputation à cause de 2 écueils dans lesquels elles sont tombées : leur convertibilité – impliquant la possibilité de spéculer dessus et donc de les rendre inaccessibles – et le manque de contrôle du contenu des transactions – ce qui en fait des candidats de choix pour les trafiquants en tout genre.

Les promoteurs de la June ont évité ces 2 écueils en rendant leur monnaie inconvertible et en n’admettant comme membre dans leur communauté que celle ou celui qui aura trouvé 5 parrains/marraines déjà membres. Une fois dans la communauté, chacun-e touche 10 Junes par jour de façon inconditionnelle et peut faire ses achats avec cet argent sur des sites dédiés…

 

Alternatives anti-exploitation

 

Mais l’idée la plus originale et la moins connue du grand public est celle qui s’attaque à la flèche C→P.

L’idée vient d’un mouvement humaniste des années 80 qui a proposé un modèle de société qu’ils ont appelé simplement sociétalisme5, avec sa partie économique : l’éco-sociétalisme.

L’originalité, qui peut paraître saugrenue au premier abord mais très pertinente quand on y regarde de plus près, vient d’une règle toute simple qui dit que dans toute transaction, l’argent dépensé est brûlé. Autrement dit, le consommateur donne son argent pour chaque achat, mais ce-dernier, au lieu d’être encaissé par le vendeur, est simplement détruit. Ainsi, le patron, propriétaire d’entreprise – à qui aurait dû revenir cet argent dans un modèle capitaliste –, ne peut, dans ce modèle, en aucun cas devenir profiteur puisque la notion même de profit disparaît.

Dans le modèle sociétaliste, c’est l’État, bienveillant, qui octroie régulièrement un budget aux entreprises les plus sociétales – donc les plus utiles à la société – afin qu’elles puissent continuer de fonctionner.

 

III. Holocratie

Cependant, le modèle qui aurait ma préférence en serait un qui s’attaquerait à la fois aux flèches C→P et P→S. Et c’est en ce sens que j’ai cherché à en élaborer un.

J’admets que l’inspiration me vient du sociétalisme avec cette notion de destruction de l’argent de la vente qui annihile la notion d’exploitation. Mais, en bon anarchiste ne pouvant se fier à la bienveillance de l’État, j’ai imaginé mettre en parallèle un mécanisme qui annihile tout autant la notion d’asservissement, sans oublier que nous sommes toutes et tous humain-e-s à égalité.

 

Tout ceci donne les 5 règles suivantes :

1. les lois sont votées, autant que possible par tou-te-s les citoyen-ne-s

2. l’argent disparaît lors d’un achat

3. l’argent apparaît conformément à un contrat de travail, un certificat d’invalidité ou autre

4. le prix des produits fluctue en fonction du vote des citoyen-ne-s

5. les salaires et autres indemnités fluctuent également en fonction du vote des citoyen-ne-s

Pour se faire une idée plus concrète du mode de fonctionnement de ce modèle, du point de vue des citoyen-ne-s, voici 2 exemples simples :

 

exemple 1

 

Les scientifiques nous informent que le glyphosate est mauvais pour la santé ; il déboussole les abeilles, qui ne pollinisent plus, ce qui a des conséquences néfastes très graves pour l’ensemble du vivant. De plus, son inhalation par des femmes enceintes conduit à des malformations des bébés. L’information est amenée au parlement par un député qui propose d’interdire le produit. Un débat s’en suit, puis vient le moment du vote. Là, tou-te-s les citoyen-ne-s sont concerné-e-s. Et donc tout le monde vote. Le résultat aura beaucoup de chance d’être celui du bon sens citoyen et non de l’intérêt de tel ou tel lobby.

Mais cela va plus loin : le vote de la loi ne suffit pas.

En tant que citoyen-ne, nous avons le droit de sanctionner les produits mis en vente : on votera, par exemple, pour une hausse du prix de tous les produits à base de glyphosate ; et, en même temps, on pourra voter pour une baisse du salaire de celles et ceux qui continuent à en produire.

 

exemple 2

 

Mon boulanger fait du très bon pain ; j’ai envie de l’encourager à continuer. Mais je constate aussi que le prix de son pain est trop élevé. Alors, je vote pour une hausse de son salaire et, en même temps, pour la baisse du prix du pain. Dans ce système cela ne pose aucune contradiction car le prix des produits est découplé du salaire. Les 2 sont traités indépendamment l’un de l’autre.

 

Conclusion

Ainsi, ce modèle est qualifié d’holocratique car il donne le pouvoir au citoyen-ne à tous les niveaux de décision et à chacun-e sans critère de discrimination autre que celui de la pertinence (par exemple, je ne suis pas concerné par le prix du pain du boulanger qui se trouve à 100km de chez moi, je n’ai donc pas à voter ni pour son salaire ni pour son pain).

Voyant dans ce système la forme la plus élaborée d’anti-autoritarisme, je l’assimile à une forme nouvelle d’anarchie et suis curieux, après ce bref exposé, de voir comment les moins conservateurs des lecteurs et les moins conservatrices des lectrices jugent la chose.

 

1AMAP : Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne

2SEL : Système d’Echange Local

3Bernard Friot : sociologue et économiste, professeur émérite à l'université Paris X-Nanterre. Voir : https://www.youtube.com/watch?v=pMViVs9LisA

4Monnaie Libre (June) : voir, par exemple : https://monnaie-libre.fr/

Partager cet article
Repost0

commentaires