Le bouddhiste nous dit : le monde est parfait ; ce sont l'ignorance, l'avidité et la haine (ou la colère) – les trois poisons injectés en toi –, qui le rendent imparfait à tes yeux.
Il y a sans doute du vrai là-dedans, mais est-ce que ça m'aide ?
Quand je vois la misère et la souffrance de certains au journal télévisé, est-ce mon ignorance, mon avidité et ma colère qui sont à l'origine des imperfections que je vois ? Et qu'en est-il des cas où, moi-même, je suis victime d'agressions ?
Je suppose plutôt que la haine est nourrie par les agressions externes. Ces agressions viennent, il est vrai, de l'avidité, de l'ignorance et de la haine. Mais celles des autres. Le piège étant de se laisser nourrir de la sorte et d'entretenir ce cercle infernal. Mais il est des cas de figures où, malgré une purification qui nous débarrasse de ces trois poisons, nous pouvons quand même être victimes des autres. Et il serait vraiment fallacieux de prétendre que je me suis mis en face de la flèche qu'on a décochée. Va dire ça aux parents des victimes du Bataclan, par exemple.
Alors, c'est vrai que, dans l'absolu, tout ce qui nous arrive n'est qu'une infime fraction des événements qui se produisent dans l'Univers et que nous ne pesons pas lourd face aux colossales explosions produites ne serait-ce qu'au sein de notre petit soleil, et que cet absolu est une mécanique parfaite. Mais qu'est-ce que l'absolu ? A-t-on besoin vraiment de le mentionner ?
En réalité, nous ne vivons que dans ce monde imparfait (même si on peut imaginer que nous avons un corps astral qui va au-delà de notre corps physique). Nous ne pouvons pas nous réfugier dans la perfection de l'absolu. Socialement parlant, ça n'a pas de sens. (Individuellement, chacun-e le vit comme il/elle l'entend).
Nous pouvons, certes, regarder le côté positif de la vie. C'est-à-dire que nous pouvons regarder ailleurs. Là où la vue est dégagée. Là où la misère ne nous saute plus aux yeux. Est-ce là, la sagesse qu'on nous propose ?
Nous pouvons aussi faire face à cette misère pour l'affronter. Et c'est là qu'on peut agir de telle ou telle manière. En sage ou en brute. En cherchant à comprendre ou en frappant pour venger. Il faut sans doute, une fois de plus, savoir trouver le juste milieu.
Donner et pardonner. Ce sont deux thèmes d'une extrême importance dans le bouddhisme. C'est du même ordre que tendre l'autre joue chez les chrétiens. Il faut savoir faire ça à bon escient. Si tu tends ta joue à n'importe qui, ne t'étonne pas de te prendre des baffes.
Une allégorie bouddhiste raconte que Shariputra, après avoir prôné les bienfaits du Don, se vit défier par un mendiant qui lui demanda de lui donner un de ses yeux. Après quelques tergiversations, mais pris au piège de ses propres argumentations que le mendiant lui retournait, il s'arracha un œil et le donna. Le mendiant le prit, le sentit, puis cracha dessus en affirmant qu'il puait. Ensuite, il le jeta par terre et l'écrasa du talon en s'en allant.
Donner ? Pardonner ? Je ne suis ni Bouddha – à qui ce genre de choses n'arrive pas – ni Shariputra – qui se laisse prendre au piège de croyances qu'à mes yeux il n'a pas assimilées. Et, vraisemblablement, je ne tendrai pas l'autre joue si quelqu'un me gifle. Car ma sagesse me dicte d'agir en fonction de qui je suis et de qui j'ai en face de moi.
Il y aura donc des cas où je donnerais et des cas où je pardonnerais. Mais il en est d'autres où ce ne sera pas possible.